Olivier Chartrain, article de l’Humanité publié le 4 mai 2025

Ce lundi 5 mai, Sylvie Contini fait son retour au lycée Desfontaines, à Melle (Deux-Sèvres), pour y exercer son métier de professeure d’anglais. Elle n’était pas en vacances : elle rentre d’un long voyage en Absurdie. Sylvie est la dernière des « quatre de Melle », ces enseignants sanctionnés en 2020 pour avoir protesté contre la réforme Blanquer du bac dans sa version originelle, à se voir pleinement rétablie dans ses droits.
C’est la conséquence du jugement prononcé le 13 mars dernier par la cour administrative d’appel de Bordeaux, annulant les sanctions prononcées en 2020 contre elle et son collègue professeur de philosophie Aladin Lévêque – ils avaient été les plus lourdement sanctionnés.
Face à « la volonté de taper, de faire mal, d’humilier »
Le 3 février 2020, alors qu’une épreuve des E3C (épreuves communes de contrôle continu du bac) doit se tenir, Desfontaines est sens dessus dessous. Mobilisés depuis la rentrée de janvier contre ce dispositif qu’ils récusent, enseignants et élèves ont décidé de « bloquer » symboliquement l’établissement – qui n’est pas clôturé à l’époque. Mais pour le ministre Jean-Michel Blanquer, les E3C sont le symbole de « sa » réforme du bac, qui doit passer coûte que coûte.
Partout où la protestation s’élève, la répression s’abat. À Desfontaines, c’est une bataille rangée que les autorités organisent ce jour-là : CRS dans le lycée, lacrymogènes, élèves enfermés dans les salles d’examen, portes coupe-feu verrouillées, au mépris de la sécurité de tous.
Pour avoir participé au « blocage », Sylvie, Aladin et leurs collègues Cécile Proust et Sandrine Martin sont suspendus à titre conservatoire dès le 9 mars. Malgré l’insignifiance des faits qui leur sont imputés, la rectrice de l’époque, Bénédicte Robert – une proche de Blanquer –, a décidé de frapper fort. Ce jour-là, Sylvie a eu le sentiment de « se prendre un mur. Depuis janvier on était dans une lutte très unitaire. Et là, tout s’arrête ». En octobre, le conseil de discipline prononce contre elle une mutation d’office. Ce jour-là, « j’ai vu qui j’avais en face », confie-t-elle, confrontée à « la volonté de taper, de faire mal, d’humilier, d’écraser ».
La force du collectif pour tenir face à la répression
Cependant, un recours en référé, gagné, lui permet de retourner au lycée. Où la nouvelle proviseure l’accueille avec un rapport disciplinaire : elle est toujours dans le collimateur. Et en décembre 2022, contre toute attente, le tribunal administratif confirme la sanction. Cette fois, Sylvie s’effondre : « J’ai réalisé que toute ma vie allait être bouleversée. » Maman solo, avec deux grandes filles dans le supérieur et le petit dernier bientôt au collège : comment s’organiser alors qu’elle va être nommée sur un double poste lycée et collège, chacun à une demi-heure de route et à l’opposé par rapport à Melle ?
En sixième, son fils prend donc l’habitude d’aller l’attendre, seul, à la cafétéria du supermarché voisin, le temps qu’elle puisse rentrer d’un de ses établissements éloignés. Elle assure qu’il a été moins marqué par le traitement infligé à sa mère que ses grandes sœurs, qui étaient au lycée, qui ont assisté aux réunions, et dont l’une a, du coup, décidé de se lancer dans le droit.
Leur mère sait ce qu’elle doit à ses enfants : « J’ai tenu grâce à eux, à leur soutien inconditionnel, à nos discussions. » Grâce aussi aux syndicats SUD (auquel les « quatre » ont adhéré après leurs sanctions) et FSU, et au comité de soutien qui s’est monté très vite. Tous ont assuré le financement de la bataille : « Sans eux, nous ne serions pas allés au bout, souligne Sylvie. Financer une telle lutte, c’est une charge mentale énorme. »
« On ne peut pas vivre en colère tout le temps »
Certains de ces précieux compagnons de lutte y ont d’ailleurs laissé leur santé. Sylvie ne l’oublie pas, même si elle se décrit aujourd’hui « apaisée » et, surtout, dépourvue de tout esprit de revanche : « On ne peut pas vivre en colère tout le temps. » Elle s’attache à trouver du positif dans ces cinq ans de tourmente, comme ce retour au collège où elle a trouvé « des collègues qui déployaient des trésors de pédagogie, ce qu’on oublie parfois un peu » au lycée : « Ça m’a fait réfléchir à ma pratique. »
Et puis, Sylvie veut « apporter de l’espoir aux autres », ces collègues qui, à travers la France, continuent à « se faire maltraiter, sanctionner ». En insistant évidemment sur le rôle précieux du collectif et des syndicats. « Avec Gérald, un ancien collègue de Desfontaines, on réfléchit à écrire un manuel pour affronter les conseils de discipline. Après tout, en face, ils ont bien des formations managériales pour ça », conclut-elle dans un franc éclat de rire à faire tinter les oreilles de Jean-Michel Blanquer.